RMIste : handicapé de la vie

Publié le par ursul

 

Handicapé de la vie

Il faut pour cela décrire la physionomie du érémiste lambda à la lumière d’un exemple ; le mien est un bon archétype.

         Les commerciaux, les techniciens et les manuels font généralement de très mauvais érémistes, ils acceptent ce que je nomme subjectivement les « corvées » avec courage et abnégation, souvent par intérêt ou par plaisir, certains même par passion. Sans aucune ironie, je les envie ; comment font-ils ?


         Moi, je ne m’intéresse pas à l’argent et pour cause je me contente d’un rien : comment pourrais-je faire un commercial efficace, tout au moins honorable ? Si quelqu’un ne veut pas m’acheter le produit dont je lui vante les mérites, je le féliciterai naturellement de ne pas sombrer dans les méandres de la conso pour avoir négligé un bibelot dont il se passait fort bien avant d’avoir croisé ma sinistre route. Je suis le plus fervent défenseur du boycott, un adepte lointain mais fidèle de Gandhi, un rejeton impur de Lanza del Vasto.

         Quand on me demande si je mange à ma faim, je réponds que je ne fais qu’un repas par jour en grignotant en nocturne des conneries au Nutella ; quand on me demande ce que je ferais si mon budget rétrécissait, je réponds logiquement que mon estomac rétrécirait en juste proportion et qu’il ne me resterait plus qu’à resserrer ma ceinture d’un cran. Dois-je fournir d’autres arguments pour vous persuader que la vente n’est pas mon truc ?


         Parlons à présent de technique. Il en est qui sont doués pour la mécanique, d’autres pour l’électronique, d’autres encore ont des notions de maçonnerie, d’autres ont étudié la plomberie, etc. Non sans honte, je dois à la vérité d’avouer que, pour ma part, je suis une tache en tout. Corrigeons immédiatement – je me surestime –, je ne suis pas une tache, je suis LA tache. Dans toute sa splendeur.

        D’une maladresse peu commune chez les représentants du genre homo sapiens sapiens, j’affirme sans ambages qu’un chimpanzé est plus apte que moi à utiliser une tondeuse à gazon – j’en ai bousillé une à mon premier essai, qui fut le dernier je vous rassure –, qu’un poulpe est plus apte à conduire un véhicule – la seule fois où je m’y suis exercé, en plein cœur du Sahara car je ne tiens décidemment pas entamer une carrière d’assassin, j’y ai chopé mes premières crampes au bout d’un quart d’heure et failli, en bon dyslexique, plonger mon engin dans le seul ravin que tolérait ce spacieux désert. Dois-je vous convaincre que je n’ai toujours pas de permis de conduire ?


         Nous n’avons pour l’instant qu’inspecté la partie immergée de l’iceberg car le pire est à craindre. J’ai vu dans ma vie des gens increvables faire des tours de stade sans transpirer d’une goutte tandis qu’un point-de-côté me stoppait dès les premières minutes de ce même parcours ; j’ai connu des nabots portant, la fleur aux dents, des charges lourdes qu’avec mon mètre quatre-vingt-quatre je peinais seulement à soulever. Dès l’école, on m’a traité de fainéant, de fumiste, de fiotte alors que mon manque d’endurance n’était pas feint, que mon dos était déjà en marmelade, qu’une scolionite positionnelle, des lordoses et des scolioses seraient plus tard diagnostiquées par d’éminents praticiens au langage trop savant pour être compris, que des crises aigües de lumbago – qu’un seul éternuement ou que la seule ouverture d’une fenêtre peuvent provoquer – devaient couronner le tout, m’assimilant parfois à un scarabée retourné mettant un caleçon et une paire de chaussettes au bout de dix minutes d’efforts et de hurlements conjugués.

          Autant dire que la perspective de faire les vendanges me donne des envies de défenestration – j’habite au quatrième étage pour plus de précisions –, et la réalité du ménage m’incite au meurtre – le balai, la serpillère et l’aspirateur restent à ce jour les dernières personnes à m’avoir tiré quelques larmes des yeux.

          J’ajoute, pour étayer mon argumentation qu’on ne manquera pas de juger outrancière (malgré ma bonne foi si l’on excepte les comparaisons animalières), que l’armée m’a permis de découvrir – et ce fut bien dans ce contexte ma seule découverte – lors du supplice qu’est le garde-à-vous que je ne pouvais rester debout fixe plus de sept minutes sans me gondoler le dos et souffrir d’atroces douleurs. Malgré ma volonté de fuir par tous les moyens mes obligations militaires et de quitter cette caserne qui me semblait un camp de concentration, dois-je encore vous signifier que je fus le plus mauvais soldat de France ?



         J’aimerais, pour clore le débat, répondre à une accusation que chaque lecteur ne manquera pas de formuler à mon encontre : « Si ce type ne trouve pas de travail, c’est simplement parce que c’est un chieur, une grande gueule insupportable, un bonhomme réfractaire à toute forme de discipline ». Si j’admets volontiers ne pas être soumis de nature et avoir un rapport douloureux à la discipline, je récuse le terme de caractériel : un type qui achève ces études secondaires et son service militaire possède nécessairement une aptitude à la discipline. À chaque fois que j’ai travaillé (pour des emplois à durée déterminée), j’ai été systématiquement réengagé par mes supérieurs (qui appréciaient moins mon caractère que mon travail proprement dit). Je suis consciencieux, ponctuel, fiable ; je sais prendre des initiatives et arrive parfois à la boucler. Si je n’aime pas mon travail, je préfère foutre le camp de mon propre chef.
         La seule fois où j’ai été viré, au bout d’une période d’essai de 3 jours, c’est lorsque j’ai été embauché comme manutentionnaire dans un magasin de vêtements. À l’époque, trop jeune pour percevoir un R.M.I. et manquant de ressources, j’avais postulé à tous les emplois proposés et seul un magasin m’avait répondu. Refusé comme vendeur – cet office étant forcément dévolu aux femmes –, je ne fus recruté que pour transporter des panières de linge et fus par faute d’endurance un manutentionnaire des plus pitoyables. J’ai eu beau supplier que l’on me gardât – j’avais besoin d’argent –, ils ne s’en émurent pas et me signifièrent pour toute réponse que « je ne faisais pas l’affaire ». Sur le moment j’en fus vexé mais, avec le recul, j’ai la certitude aujourd’hui qu’ils eurent raison de me lourder.

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