Solution pour le rSa : assumer la vie passive

Publié le par ursul

 

Assumer la vie passive


 

           La seconde solution consiste à ne rien changer si ce n’est le discours politique : dire enfin la vérité au peuple. Est-ce si difficile d’admettre qu’il n’y a pas d’emploi pour tout le monde ? Le peuple est-il si demeuré au point de ne pas le comprendre ? Un peu de courage, politiques de tous bords ! Expliquez donc à ces attardés que le monde a changé depuis les années Pompidou. Il est quand même sidérant dans notre pays d’être traité de feignant par un retraité pimpant qui n’en branle pas une : « Le R.S.A. n’existe qu’en France : quelle honte ! »

           Et la retraite, pépé, tu crois que c’est un dû ? Tu crois que ça existe au Cambodge, vieux grigou ? Tu crois que ton grand-père la touchait au 19ème siècle, ta satanée retraite ? Aucun acquis ne vous dérange pourvu que vous seuls en bénéficiiez. Je sais, je sais… Vous avez travaillé pendant quarante ans, vous avez cotisé, vous l’avez bien méritée. Argument nul : ce n’était pas la même époque ! Je crois bien que, grâce à vous, ce n’est plus le même pays ! Vous pouviez travailler donc vous pouviez cotiser... Un fils d’ouvrier pouvait trouver sans problème n’importe quel boulot dans le secteur tertiaire, un gaillard sans diplôme intégrait facilement l’administration avec espoir d’ascension. À moins de piquer dans la caisse, le rond-de-cuir était invirable ! Les patrons n’avaient pas encore le pouvoir de vous traiter comme des chiens avec le chômage pour chantage, avec la misère comme épée de Damoclès. Vous pouviez démissionner sans plus d’inquiétude dès qu’un tyran des bureaux vous harcelait, lui fausser compagnie à la moindre incartade personnelle ; ailleurs on embauchait. Les patrons s’intéressaient à leur entreprise, parfois à leur personnel, pas seulement à leur pognon. Eh oui ! vous étiez moins dipômés que nous et vous aviez droit à tout !



          Mettez-vous bien dans votre crâne dégarni que ce temps est révolu ! Et cessez de pester contre cette jeunesse oisive que vous n’avez pas su protéger ! à laquelle vous n’avez rien légué si ce n’est des dettes insolvables, du verbiage autour de votre taux de cholestérol, la coûteuse pension d’un mouroir ou l’attente pénible d’un salutaire héritage ! C’est à cause de vous, mesquins harpagons, que nous subissons une politique discriminatoire, l’exclusion sous toutes ses formes. Sans votre modeste contribution aux urnes, pas d’ostracisme juvénile ; sans votre apport décisif de voix, plus de mauvaise foi.

 

         Qu’est-ce que vous croyez ? Que la plupart des métiers sont utiles ! Les seuls qui peuvent se prévaloir d’être indispensables se concentrent entre les deux extrémités du secteur alimentaire, des paysans aux magasins de bouche (pour des besoins vitaux : manger, boire). Et quelques ingénieurs et manuels pour réparer les installations obsolètes ou d’éventuels dégâts (pour ne pas crever de chaud, de froid, etc.)… A-t-on besoin des autres ?

         Indispensables, les médecins ? Pour fidéliser une clientèle d’hypocondriaques et de cacochymes à la retraite juteuse ? Indispensables pour leurs profits, je n’en doute pas. Indispensables pour ta survie ? Ta survie dans un mouroir dans lequel tes enfants t’auront gentiment expédié ? Ta survie ! Mais tu y passeras, comme les autres…

         Indispensables, les maçons, les architectes, les urbanistes ? Il y a assez de logements en France pour loger tous les citoyens du pays ; que construit-on encore ? Si des gens vivent dehors, que l’État s’empare des domaines inhabités (en versant des indemnités au propriétaire) pour les loger. De Gaulle en son temps a réquisitionné des habitations par nécessité pour y héberger des prolos sans abri. Mon grand-père, ouvrier et communiste – à l’époque où le Breton borgne n’était qu’un moutard, c’était un pléonasme – fut logé dans une résidence secondaire dont il fut d'abord locataire avant de la racheter à la mort de son propriétaire (qui refusait catégoriquement de vendre son bien de son vivant). Doit-on soupçonner de Gaulle de sympathies communistes ? Cette loi existe toujours mais elle n’est plus appliquée (comme celle du quota des logements sociaux par commune, rarement respectée). Vois-tu, vieillard aigri, la Droite n’est plus ce qu’elle était : pragmatique et juste. La Gauche non plus d’ailleurs.

 

        Soyeux sérieux, la plupart des métiers, et là j’élargis le cercle pour y accueillir les travailleurs d’aujourd’hui, ne sont indispensables qu’à occuper vos journées, qu’à vous éviter un piteux désœuvrement. Le travail a été inventé pour éviter aux couples de se dissoudre dans des querelles conjugales fatales, pour caresser l’espoir de donner des ordres à plus con que vous – mais si, ça existe ! –, pour restreindre votre propension à l’ennui et freiner ses dangereux corolaires, l’ivrognerie et la violence.

        Nobles travailleurs, vous ne travaillez pas pour être utiles à la société, ni même pour subvenir à vos besoins – qui sont bien plus limités que vous ne pourriez l’imaginer, je parle en connaissance de cause –, vous ne travaillez que pour une seule, unique et inavouable raison : pour ne pas vous faire chier. Croyez-vous que j’en sois dupe ? Il est des pays où une personne sur treize travaille, et tous ou presque mangent à leur faim. Des bols de riz avec un verre de lait ? Peut-être, mais ça suffit amplement pour survivre. Comprenez bien : un livre de 500 pages ne suffirait pas à énumérer la liste des métiers inutiles en Occident, je suis plus utile à dénoncer cela qu’à partager votre sort, que vous le vouliez ou non.



        Le travail, utile ? Laissez-moi rire ! Je n’ai jamais été rétribué que pour qu’on m’empêche de travailler, de créer, de penser – travailler plus pour penser moins – ; les boulots dans lesquels je me suis commis se résumaient à un simulacre de travail, une simulation de civisme. L’important était de feindre, de faire semblant, pour être bien vu du supérieur qui en faisait autant devant sa hiérarchie dans la chaîne absurde du travail virtuel. De même que les médecins sont devenus des commerciaux, les professeurs des bourreurs de crâne, l’Éducation Nationale une garderie pour enfants, l’Université un cache-misère du chômage, le social une entreprise sadomasochiste, tout le monde a démissionné de son poste à l’image de ces nouveaux parents qui pondent des œufs sans vouloir éduquer leurs poussins, à l’instar de cette volaille privée de grain qui conduit le vieux coq à l’abattoir.

        Je travaille beaucoup plus chez moi, avec passion et sans compter mes heures dans des projets personnels, certes non lucratifs, et n’ai jamais été employé (sauf en tant que saisonnier) que pour me tourner les pouces, brasser de l’air, fermer ma gueule, obéir à plus con que moi, nuire à autrui, en somme m’emmerder, me faire emmerder ou emmerder mon semblable. Des preuves ? À quoi sert un guichetier, un standardiste, un réceptionniste, un serveur, un téléacteur, j’en passe et des meilleures… ? On ne m’a jamais payé pour être utile, bien au contraire ! Et les rares opportunités qui m’auraient permis de l’être m’ont toujours été confisquées.

        Une question me taraude : les Français veulent-ils travailler pour être inutiles ? Amer constat : si le érémiste est payé à ne rien faire, sauf exception le travailleur est payé pour ne rien faire. Nuance.



        En dehors de ces quelques plaisantes insultes, me direz-vous, où voulais-je en venir ? Pour m’expliquer d’une façon triviale, donc parfaitement assimilable pour l’ensemble de la population active, je vous conjure : ce n’est pas parce qu’on s’emmerde qu’il faut faire chier les autres !

       Toi, le beauf, tu nourris bien ton chien ou ton chat alors qu’il se la coule douce. Et ça ne te file pas une crise d’urticaire de savoir que cependant le loup ou le lynx – équivalent sauvage – lutte âprement pour appréhender la plus misérable proie. Tu serais prêt à filer du caviar à ta bestiole sur ton canapé alors que tu laisserais claquer un clodo de froid devant ta maison. Tu n’es pas choqué de trimer toute la sainte journée pour un sandwich tandis que ton clebs Bobby bien repu de sa pâtée va roupiller sur ses couilles. Pourquoi serions-nous la seule espèce animale à croire que le travail pour tous est une nécessité ?



      

       Parlons donc des fourmis, auxquelles la célèbre fable prête des vertus laborieuses, qui organisent leur société selon ce mode réel : tandis qu’une minorité travaille pour le bien commun, la plupart ne foutent rien. Et ça n’a pas l’air de les déranger plus que ça. Malgré la dimension de leur boîte crânienne, serions-nous, géniaux primates que nous sommes, plus stupides que ces minuscules insectes ? Quitte à perdre un pari posthume, je convoque l’Histoire et je prends date : l’avenir de l’homme, c’est la fourmi ! En ce lundi 10 août 2009, j’affirme être, moi, le minable érémiste, non pas l’homme mais un des hommes de demain. Qu’on se le dise partout alentour, les hommes travailleront demain selon leur bon vouloir ! Les insatiables énergiques se dépenseront sans compter, car c’est leur nature, les autres rythmeront leurs efforts au son d’une chanson, car c’est leur talent.


       La jalousie, en vérité, est la seule cause de nos tourments. Qu’a-t-on à envier à autrui puisque nous ne sommes pas lui ? Ce sentiment est plus que stupide, il est absurde. Le travailleur envie à l’oisif sa liberté, pas sa misère, un oisif peut envier les ressources du travailleur, pas son labeur. Pourquoi ce goût du détail sans vue d’ensemble ? Comment saisir la conséquence sans connaître la cause ? De même qu’on ne peut pas tout être, on ne peut pas tout avoir.
       Que ferait le travailleur de son temps puisqu’il ne sait pas l’occuper ? Que ferait l’oisif de son argent puisqu’un rien l’occupe ?


       Que ferait le laborieux d’une liberté sans cadre qui le confine à l’ennui ? Il engueulerait sa femme et ses enfants, chercherait noise au voisin, picolerait, se droguerait, se bagarrerait, et cela dans le meilleur des cas. À force d’entendre des phrases toutes faites décrétant qu’un individu est « comme tout le monde », on oublie trop souvent que nous sommes tous différents, que nous n’avons pas tous les mêmes besoins, les mêmes désirs ni les mêmes ambitions. Ne pas travailler n’est pas un drame pour quelqu’un qui s’adonne à la lecture, l’écriture, qui pratique le dessin, la musique ou une activité sportive, qui s’intéresse à l’Histoire, la généalogie, la géographie, les langues, les arts, la philosophie, la sociologie, la psychologie, l’anthropologie, l’ethnologie, l’astronomie, l’informatique, la biologie, la physiologie, la géologie, les mathématiques, la physique, la zoologie, la botanique, et tant d’autres choses passionnantes. Ne pas travailler est un supplice pour quelqu’un qui ne s’intéresse qu’aux bars, aux boîtes de nuit, aux fringues, aux sorties, au shopping, au football et autres dispendieuses frivolités.

       Je comprends aisément qu’un travailleur se sente écœuré de nous voir jouir de si peu, oui ! je comprends votre incompréhension : vous travaillez toute la journée en faisant la gueule tandis que nous glandons la mine satisfaite ; en effet, il y a de quoi être dérouté. De même que vous étiez naguère dégoûtés des pédérastes épanouis dans leur vice tandis que vous vous perdiez dans la plus vertueuse misère conjugale. Leur bonheur avait un prix : il fallait bien que vous les maltraitiez. Vous avez su pourtant dominer vos instincts haineux à l’égard des minorités sexuelles, encore un effort pour parvenir à réviser vos préjugés sur les minorités sociales. À présent que vous agréez la sodomie, tolérez donc l’onanisme. Honnêtes travailleurs et dignes pères de famille, vous ne désirez pas plus être érémistes que vous ne rêviez d’être pédérastes, avouez-le donc, alors cessez immédiatement votre crise de jalousie puérile ! Le érémiste est au public ce que le gay est au privé, ce que le gaucher était à la classe. Quel droitier ringard envie encore le gaucher ? Quel hétéro sincère envie l’homo ?

 

       Des deux solutions proposées, pour rappel en simplifiant : partager la vie active ou assumer la vie passive, la première demeure la seule envisageable dans la société actuelle où les leçons de tolérance de 2.000 ans de christianisme n’ont pas suffi à ébranler notre culture martiale indo-européenne. Le terrain de la guerre s’est déplacé sur le champ économique : le travail, à défaut d’être un droit, reste un devoir. Les mentalités évoluant au rythme de l’escargot, en prophète de mauvais augure je crains que des siècles de cécité nient encore l’évidence.

 

 

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