Physionomie du érémiste lambda

Publié le par ursul


Physionomie du érémiste lambda


           
Un des aspects les plus souvent passés sous silence demeure l’aspect psychologique de l’individu. Les organismes ne sont pas tenus de s’en émouvoir, tout apitoiement naïf s’assimilerait effectivement à une faute professionnelle. Mais il ne s’agit pas pour eux de compatir mais de comprendre la psychologie de ces individus. Si on ne connaît pas la psychologie de son ennemi (et vous verrez bien par la suite qu’ils nous considèrent comme tels), on ne peut le manipuler, encore moins le vaincre, le soumettre.

             Je vais donc donner quelques tuyaux aux hyènes de l’administration pour pouvoir consommer nos restes putrides, car chacun sait que nous sommes en état de décomposition avancée.


 


             Oyez, Hyènes, votre gibier est ANORMAL : il n’est pas dans la norme (j’expliquerai volontiers chaque terme car l’hyène est cancre et sourde).

            Si l’âne marche à la carotte, le chien à la pâtée, l’hyène à la charogne, le beauf à l’argent, le érémiste a une toute autre motivation, il carbure à la liberté. Il désire simplement trouver un travail adapté à ses compétences dans lequel il puisse s’épanouir, s’investir, se rendre utile, prendre quelques initiatives (des libertés ou des responsabilités selon les cas) et cela dans un cadre harmonieux, affranchi des querelles de pouvoir et pour un salaire somme toute assez raisonnable. Il ne souhaite en aucun cas être calife à la place du calife, ne regarde pas dans l’assiette de l’autre, n’est jamais compétitif, méprise l’abus de pouvoir ou toute autre dérive hiérarchique. Il rechigne à faire des heures sup’ ou à parcourir inutilement des kilomètres non défrayés, obsédé de gagner du temps pour se consacrer à ses activités personnelles (autrement plus motivantes à ses yeux que toute corvée alimentaire).

            Enfin, et c’est essentiellement en cela qu’il diffère du commun du mortel, il n’envisage pas son rapport à autrui comme sadomasochiste et, jaloux de sa liberté, se refuse à exercer une autorité illégitime sur qui que ce soit. Contrairement à la majorité des masochistes qui taillent des pipes au patron sadique en souhaitant secrètement une fois promus se faire sucer à leur tour, le érémiste lambda exècre les rapports de force et s’accommodera fort mal d’une turlute obtenue par chantage.

 

            Ce n’est pas un pur, un innocent, une brebis sans tache. Il n’est pas exempt de tares, loin de là, mais si vous lui cherchez un vice, vous faites fausse route : l’argent et le pouvoir sont des valeurs dont il se moque copieusement. Preuve en est, à la différence des gens normaux, il n’éprouve pas le besoin impérieux de se reproduire afin d’engueuler à loisir sa progéniture pour tout prétexte bidon (un résultat calamiteux en mathématiques, les coudes sur la table, une cigarette fumée en loucedé), prétexte dissimulant mal une grande frustration à ne commander personne dans sa vie professionnelle (notez : plus ils obéissent à leur patron sadique, plus ils font des gosses pour se venger sur eux). La vie de couple ou de famille indiffère à peu près notre érémiste lambda en cela qu’elle se réduit peu ou prou à des rapports de force et des tensions permanentes qui risqueraient de perturber sa sérénité et sa réflexion, d’entraver son indépendance.


 


           Fort de sa stérilité, notre sauvage ne connaît plus les contraintes du civilisé qui, pour nourrir sa vénale bourgeoise, son bourrin de mari ou ses homoncules braillards, en est réduit à accepter les corvées les plus humiliantes – torcher le cul des vieux qui perdent la boule, nettoyer les débiles profonds qui bavent dans des maisons prévues à cet effet, harceler les gens au téléphone ou à domicile, servir des pachas nostalgiques des temps esclavagistes dans les supermarchés, restaurants et autres commerces – ou des emplois à caractère sadique – persécuter les malades dans les hôpitaux, les élèves dans les écoles, les arabes dans la police ou les pauvres dans l’administration.

           Bien sûr, tous les gens qui pratiquent ces métiers ne sont pas au départ pétris des pires intentions, mais les difficultés aidant, la crise grondant et la frustration croissant – sentiment d’inutilité, problèmes périphériques ou privés, usure du quotidien, coût de la vie, pressions hiérarchiques et chantage au chômage –, ils finissent par se comporter le plus souvent comme de cyniques jeanfoutres ou de zélés sycophantes, déçus qu’ils sont de leurs aspirations premières et toujours inquiets pour leur avenir.

 

            Le érémiste lambda est conscient de cet état des lieux car la situation ne fait qu’empirer depuis 1988, date de création du R.M.I., pour atteindre, j’espère, son paroxysme lors de la récente crise américaine. Il veut échapper à tous ces pièges tendus par la société moins par malice que par instinct de survie (synonyme pour lui de liberté et de tranquillité, là où la survie d’un beauf est liée inextricablement à son pouvoir d’achat ou son pouvoir tout court, en vérité à son emprisonnement).


 

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